Cycle du carbone

3.4.2 Le cycle du carbone


L'hydrogène (H), l'hélium (He), l'oxygène (O) et le carbone (C) sont, dans l'ordre, les éléments les plus abondants dans le cosmos. Sur Terre cependant, ce sont l'oxygène et le silicium qui dominent, le carbone venant en quatorzième place seulement.

Le recyclage des éléments à travers les diverses composantes à la surface de la Planète est fortement lié au fait que la Terre est une planète vivante. L'élément le plus critique attaché à ce recyclage est sans contredit le carbone. Depuis que le cycle biologique du carbone est apparu sur Terre, il a en quelque sorte transformé cette planète en un système fermé qui assure sa continuité. Il est le constituant majeur de deux gaz à effet de serre, CO2 et CH4, sans lequel il ne saurait y avoir de vie sur terre ; son recyclage influence particulièrement la productivité biologique et le climat. Le cycle global du carbone implique des processus qui agissent en milieu terrestre et en milieu océanique et où interviennent des réactions chimiques biologiques et non-biologiques. On ne peut discuter sérieusement de changements climatiques sans connaître le B.A.-Ba de ces processus.

Précisons d'abord que dans la nature, le carbone se retrouve sous deux formes: le carbone organique (Corg) et le carbone inorganique (Cinorg). Il est souvent utile de faire la distinction. Le Corg est celui qui est produit par des organismes vivants et qui est lié à d'autres carbones ou à des éléments comme l'hydrogène (H), l'azote (N) ou le phosphore (P) dans les molécules organiques ou les hydrocarbures. Le Cinorg est celui qui est associé à des composés inorganiques, c'est-à-dire des composés qui ne sont pas et n'ont pas été du vivant et qui ne contiennent pas de lien C-C ou C-H, comme par exemple le carbone du CO2 atmosphérique ou celui des calcaires CaCO3.

Le cycle global du carbone

La figure ci-dessous présente le cycle global du carbone et ses flux entre les quatre sphères "superficielles" de la Planète: lithosphère, hydrosphère, biosphère et atmosphère. Y est indiquée aussi la dimension des réservoirs de carbone impliqués, exprimée en Gtc (Gtc = gigatonnes en équivalent carbone), c'est-à-dire en milliards de tonnes métriques de carbone.

On y voit que le grand réservoir de carbone est constitué par les roches sédimentaires. Un autre grand réservoir est l'océan; on verra qu'il s'agit en fait de l'océan profond (plus de 100 mètres de profondeur). C'est dire que la pellicule superficielle de la planète recèle relativement peu de carbone, mais ce carbone est ô combien important pour la Vie et l'influence qu'il y exerce. Au niveau des flux entre les réservoirs, on évalue que le temps de résidence d'un atome de carbone est de 4 ans dans l'atmosphère, de 11 ans dans la biosphère, de 385 ans dans l'hydrosphère superficielle (océan de 0 à 100 m), de plus de 100 Ka (milliers d'années) dans l'océan profond et de quelques 200 Ma (millions d'années) dans la lithosphère. Il est important de se rappeler de ces valeurs relatives dans toute discussion sur l’impact des gaz à effet de serre, en particulier le CO2, sur les changements climatiques et les échelles de temps impliquées.

Dans le cycle global du carbone, il y a une hiérarchie de sous-cycles opérant à diverses échelles, de la décennie (le recyclage du CO2 par les plantes) aux centaines de millions d'années (le recyclage du carbone organique par l'intermédiaire des roches sédimentaires ou des hydrocarbures par exemple). Les processus physiques, chimiques et biologiques agissent ensemble et sont si intimement liés qu'il devient difficile de les départager. Pour fin de simplification, nous allons examiner séparément le recyclage des deux types de carbone: le cycle du carbone organique et celui du carbone inorganique. Il faut bien réaliser cependant que cette séparation est artificielle et qu'en réalité ces deux cycles sont intimement liés. Mais elle est susceptible d'aider à mieux comprendre un système très complexe.

Le cycle du carbone organique

Le cycle court du carbone organique

La figure qui suit résume les deux cycles, court et long, du Corg, avec un chiffrage des flux et des réservoirs exprimé en Gtc.

Pour le cycle court, on parle de processus qui s'étalent sur des temps inférieurs au siècle. Le processus de base du recyclage du carbone à court terme est le couple photosynthèse-respiration, c'est-à-dire la conversion du Cinorg du CO2 en Corg par la photosynthèse, et subséquemment l'inverse, la conversion du Corg de la matière organique en Cinorg par la respiration. Il faut considérer trois réactions de base.

D'abord, la photosynthèse qui utilise l'énergie solaire pour synthétiser la matière organique en fixant le carbone dans des hydrates de carbone (CH2O):

La matière organique est représentée ici par CH2O, la forme la plus simple d'hydrate de carbone. En réalité, il s'agit de molécules beaucoup plus grosses et plus complexes dont la base demeure les éléments C, H et O, mais auxquels viennent se joindre d'autres éléments en faibles quantités comme l'azote (N), le phosphore (P) et/ou le soufre (S). Cette partie de la matière organique correspond à la productivité primaire, et les organismes impliqués (bactéries, algues et plantes) sont les producteurs primaires. Ceux-ci captent l'énergie solaire et la transforment en énergie chimique qu'ils stockent dans leurs tissus. Cette dernière est transférée aux organismes consommateurs, incluant les animaux. Il est intéressant de noter que dans la nature la biomasse des consommateurs est bien inférieure (ne comptant que pour environ 1% de la masse totale) à celle des producteurs primaires.

Les consommateurs tirent leur énergie de celle qui est contenue dans les producteurs primaires en ingérant leurs tissus et en respirant. La respiration est l'inverse de la photosynthèse: à partir de l'oxygène libre O2, elle transforme toute matière organique en CO2:

Il s'agit d'une réaction qui nécessite la disponibilité d'oxygène libre O2. Dans la nature, une partie de la matière organique est respirée (oxydée) par les animaux ou les plantes elles-mêmes; une autre partie se retrouve dans les sols terrestres ou les sédiments marins. La décomposition se fait sous l'action de micro-organismes, bactéries et champignons. Ces micro-organismes forment deux groupes: ceux qui utilisent l'oxygène libre O2 pour leur métabolisme, ce sont les aérobies, et ceux qui utilisent l'oxygène des molécules de la matière organique même en absence d'oxygène libre, ce sont les anaérobies. La décomposition aérobie produit du CO2 (équation 2). Dans les milieux anoxiques (sans oxygène libre), les anaérobies décomposent la matière organique par le processus de la fermentation.

La fermentation produit du dioxyde de carbone et du méthane (l'hydrocarbure le plus simple, avec une seule molécule de carbone).

Ces deux gaz peuvent s'échapper dans l'atmosphère oxygénée. Le méthane, qui est un gaz à effet de serre 20 fois plus efficace que le CO2, est alors oxydé et se transforme rapidement en dioxyde de carbone. En fait, son temps de résidence dans l'atmosphère n'est que de 10 ans, mais il ne faut pas oublier qu'il se transforme en CO2, … ce qui n'est guère mieux pour notre planète. Une partie du méthane demeure cependant dans le sédiment où il forme des réservoirs de gaz naturel (voir section 3.3.2 - Les combustibles fossiles). On vient de découvrir (Science, v. 293, juillet 2001) qu'un important volume de méthane est "bouffé" par des bactéries sur les fonds océaniques mêmes. On est tenté d'ajouter: fort heureusement!

Le cycle long du carbone organique

Les processus discutés plus haut (photosynthèse, respiration, fermentation) affectent le cycle du carbone organique, et en particulier l'équilibre du CO2 atmosphérique, sur une échelle de temps inférieure au siècle. Sur des échelles de temps beaucoup plus longues, ce sont les processus de nature géologique qui deviennent les contrôles les plus importants, des processus qui agissent sur des milliers et des millions d'années. Il s'agit de processus tels l'enfouissement des matières organiques dans les sédiments et roches sédimentaires, leur transformation en combustibles fossiles et leur altération (oxygénation) subséquente. Les flux de carbone reliés à ces processus sont faibles; en revanche, les réservoirs sont immenses (voir figure du cycle du carbone organique plus haut) et le temps impliqué très long.

Le remplissage de l’immense réservoir que constituent les roches sédimentaires, principalement les schistes, s'est fait petit à petit au cours des temps géologiques, avec deux accélérations importantes, d’abord lors de l'explosion de la vie métazoaire il y a quelques 600 Ma (millions d'années), puis lors de l’avènement de la grande forêt il y a 360 Ma. Le flux de carbone est faible, mais s'étend sur une longue période de temps. Il en est ainsi pour l'oxydation du réservoir de carbone qui se trouve dans les kérogènes, hydrocarbures et charbons. Celle-ci s'est faite au gré de l'exposition à l'air ou aux eaux souterraines oxygénées des roches sédimentaires et de leur contenu, lorsque les mouvements tectoniques qui ont affecté la croûte terrestre ont amené ces roches vers la surface. On évalue le temps de résidence du carbone organique dans ce réservoir à plus de 200 millions d'années, soit en gros le laps de temps correspondant au dépôt des sédiments et matières organiques dans un bassin océanique, à l'enfouissement et la transformation des sédiments en roches sédimentaires, et finalement le soulèvement et l'émergence lors de la formation d'une chaîne de montagne. L'extraction et la combustion des pétroles, gaz et charbons que nous pratiquons allègrement sont venues transformer une partie de ce cycle long en cycle court.

Le cycle du carbone inorganique

On a vu que l'interaction photosynthèse-respiration-fermentation est le noeud du cycle du carbone organique. Il y a cependant d'autres processus de recyclage du carbone qui impliquent cette fois le carbone inorganique, entre autres, celui qui est contenu dans le dioxyde (CO2) et dans les calcaires (CaCO3). Les réservoirs importants de Cinorg sont l'atmosphère, les océans, ainsi que les sédiments et roches carbonatées, principalement les calcaires CaCO3, mais aussi les dolomies CaMg(CO3)2. Pour bien comprendre ce cycle, il est essentiel d'avoir d'abord quelques notions de base sur la chimie du carbone inorganique dans l'eau.

La figure qui suit résume le cycle du carbone inorganique, en indiquant la dimension des réservoirs (chiffres noirs) et les flux (chiffres rouges) entre ces réservoirs.

L'échange entre le CO2 atmosphérique et le CO2 de la surface des océans a tendance à se maintenir à l'équilibre. L'altération chimique des roches continentales convertit le CO2 dissout dans les eaux météoriques (eaux de pluies et des sols) en HCO3- qui est transporté dans les océans par les eaux de ruissellement. Les organismes combinent ce HCO3- au Ca2+ pour secréter leur squelette ou leur coquille de CaCO3. Une partie de ce CaCO3 se dissout dans la colonne d'eau et sur les fonds océaniques; l'autre partie s'accumule sur les planchers océaniques et est éventuellement enfouie pour former des roches sédimentaires carbonatées. Ces dernières sont ramenées à la surface après plusieurs dizaines de millions d'années par les mouvements tectoniques reliés à la tectonique des plaques. Une partie du carbone des roches carbonatées est recyclée dans les magmas de subduction et retournée à l'atmosphère sous forme de CO2 émis par les volcans.


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