Les hydrates de methane

Les hydrates de méthane: une réserve énergétique énorme, mais une bombe écologique en puissance


Les trois dernières décennies du XXème siècle ont vu des découvertes étonnantes sur les fonds océaniques : sources chaudes précipitant des sulfures massifs et soutenant une biomasse impressionante, communautés chimiotrophes tirant leur énergie d'évents sulfureux, méthaniques ou amoniaqués, hydrates de gaz, etc. Les hydrates de méthane, entre autres, constituent une réserve énorme d'énergie. On peut prévoir sans trop se tromper que l'Homme tentera d'exploiter cette réserve. Mais saura-t-il le faire sans dommages pour l'environnement planétaire?

On estime aujourd'hui que les hydrates de méthane des fonds océaniques contiennent deux fois plus en équivalent carbone que la totalité des gisements de gaz naturel, de pétrole et de charbon connus mondialememt. Le long de la seule côte sud-est des USA, une zone de 26 000 kilomètres carrés contient 35 Gt (gigatonnes = milliards de tonnes) de carbone, soit 105 fois la consommation de gaz naturel des USA en 1996! La carte qui suit, extraite de Sues, Bohrmann, Greinert et Lausch (Pour la Science, octobre 1999), montre la répartition des gisements connus d'hydrates de méthane dans le monde.

Les points jaunes indiquent les gisements sur les plateaux ou les talus continentaux, les losanges rouges, les gisements dans le pergélisol (sol gelé en permanence).

Qu'est-ce qu'un hydrate de méthane?

Sous des conditions de température et de pression particulières, la glace (H2O) peut piéger des molécules de gaz, formant une sorte de cage emprisonnant les molécules de gaz. On appelle les composés résultants des hydrates de gaz ou encore des clathrates. Les gaz piégés sont variés, dont le dioxyde de carbone (CO2), le sulfure d'hydrogène (H2S) et le méthane (CH4). Ces cages cristallines peuvent stocker de très grandes quantité de gaz. Le cas qui nous intéresse ici est celui de l'hydrate de méthane, une glace qui contient une quantité énorme de gaz: la fonte de 1 centimètre cube de cette glace libère jusqu'à 164 centimètre cubes de méthane!

Origine et stabilité des hydrates de méthane

Une importante quantité de matière organique qui se dépose sur les fonds océaniques est incorporée dans les sédiments. Sous l'action des bactéries anaérobies, ces matières organiques se transforment en méthane dans les premières centaines de mètres de la pile sédimentaire (voir section 3.3.2 - Les combustibles fossiles). Un volume très important de méthane est ainsi produit. Une partie de ce méthane se combine au molécules d'eau pour former l'hydrate de méthane, dans une fourchette bien définie de température et de pression (partie droite du schéma ci-dessous). Vous trouverez des diagrammes plus complets aux liens internet conseillés à la fin de cette page.

Dans la zone en gris, eau et méthane se combinent pour former un hydrate à l'état de glace, alors qu'à l'extérieur de cette zone, les deux composés sont séparés et se trouvent sous leur propre état, liquide et gaz. C'est dire que l'hydrate de méthane est stable sous les conditions de température et de pression exprimées par la zone en gris, et instable sous les conditions à l'extérieur de cette zone. Par exemple, un hydrate de méthane qui se trouve dans les sédiments océaniques par 600 mètres de fond à 7°C est stable; il deviendra instable avec une augmentation de température de moins de 1°C. Devenir instable signifie que la glace fond et libère son gaz méthane à raison de 164 centimètres cubes de gaz par centimètre de glace.

Où trouve-t-on les hydrates de méthane?

On retrouve les hydrates de méthane en milieu océanique, principalement à la marge des plateaux et sur les talus continentaux (zone en rouge sur le schéma ci-dessus), mais aussi à plus faible profondeur dans les régions très froides, comme dans l'Arctique. La marge des plateaux continentaux et les talus constituent une zone privilégiée pour accumuler les hydrates de méthane parce que c'est là que se dépose la plus grande quantité de matières organiques océaniques. On retrouve aussi des hydrates de méthane dans les pergelisols, c'est-à-dire dans cette couche du sol gelée en permanence, même durant les périodes de dégel en surface. Le grand volume de matières organiques terrestres accumulées dans les sols est transformé en méthane biogénique qui, au contact de l'eau est piégé dans des hydrates. Les pressions y sont faibles, mais la température très froide, bien au-dessous de 0°C.

Une réserve énergétique énorme

À mesure que les réserves conventionnelles d'hydrocarbure s'épuisent, on devra se rabattre sur les réserves dites non-conventionnelles, comme les gisements des régions éloignées et d'exploitation onéreuse, les sables bitumineux et peut-être un jour, les hydrates de méthane. Comme mentionné plus haut, les hydrates de méthane des fonds océaniques constituent une réserve énergétique énorme, ... mais pour l'instant inaccessible. Cette glace méthanique se trouve, soit dans les interstices du sédiment entre les particules de sable ou d'argile cimentant ces derniers ou sous forme de vésicules dans les sédiments, soit en couches de plusieurs millimètres ou centimètres d'épaisseur parallèles aux strates ou en veines les recoupant. Les hydrates de méthane sont donc dispersés dans les sédiments et ne peuvent être exploités par des forages conventionnels; il faudrait plutôt penser à une exploitation massive du sédiment à l'aide de dragues comme on le fait par exemple pour nettoyer les chenaux de navigation des sables et des boues, ou encore d'un système sophistiqué de pompage du sédiment. Mais voilà un énorme risque de déstabiliser rapidement les hydrates et de libérer des quantités considérables de méthane dans l'atmosphère, sans compter les accidents probables associés à ce genre d'exploitation. Il n'en demeure pas moins que l'industrie pétrolière salive à la pensée d'avoir peut-être un jour accès à de telles réserves.

Une bombe écologique en puissance

Une déstabilisation massive des hydrates de méthane causée par exemple par une augmentation de 1 ou 2°C de la température des océans, ce qui est tout à fait compatible avec les modèles climatiques actuels, risque de produire une augmentation catastrophique des gaz atmosphériques à effet de serre. Une telle déstabilisation pourrait aussi causer d'immenses glissements de terrain sous-marins sur le talus continental, entraînant des tsunamis très importants qui affecteraient les populations riveraines. Ce pourrait être là deux des effets catastrophiques du réchauffement climatique actuel causé par une augmentation des gaz atmosphériques à effet de serre. Le méthane eat 21 fois plus efficace que le CO2 comme gaz à effet de serre !



Suess, E., Bohrman, G., Greinert, J. et Lausch, E. Le méthane dans les océans. Pour la Science, No 264 - octobre 1999. Un bon résumé sur le sujet.