La mise en oeuvre du Protocole de Kyoto requiert une approche qui comprend la réduction de la consommation d'énergie, l'utilisation de sources d'énergie pauvres en carbone, ainsi que la séquestration du carbone.
La séquestration du carbone consiste à capter et emmagasiner du carbone émis par des sources diffuses ou ponctuelles. Le carbone peut être séquestré dans quatre types de réservoirs qui ont des caractéristiques différentes.
Le Protocole de Kyoto requiert un contrôle et une réduction de 6 % des gaz à effet de serre (GES), dont le CO2, par rapport au niveau d’émission de 1990. Le Québec émettait environ 12 tonnes équivalent de CO2 par habitant, soit presque la moitié de la moyenne canadienne, en 1997. Cette bonne performance s’explique en grande partie par l'usage intensif d'hydroélectricité.
Par ailleurs, les données disponibles montrent une augmentation graduelle des émissions de GES au Québec avec la prévision d'une augmentation de 17% entre 1990 et 2010 (Plan d'action québécois 2000-2002 sur les changements climatiques). L'augmentation des émissions de GES s'explique par une augmentation de l’activité manufacturière et du transport individuel ou industriel. Par ailleurs, Hydro-Québec a annoncé son intention d’augmenter sa production d’électricité à partir de centrales thermiques au gaz naturel. Une des caractéristiques des centrales thermiques est l’émission ponctuelle d’une quantité importante de GES ce qui permet d’envisager des systèmes de captage et de séquestration des GES à la source, évitant ainsi leur émission dans l’environnement. D’autres sources d’émission de GES, comme les transports, sont diffuses et ne sont pas compatibles avec un captage des GES à la source.
Le débat en cours sur le Protocole de Kyoto est polarisé par deux alternatives pour réduire l’émission de GES dans l’environnement. La première alternative prévoit la réduction des émissions de CO2 en utilisant des sources d’énergie pauvres en carbone, que ce soit, par exemple, l’hydroélectricité, l’énergie éolienne, ou autres. La transition vers des sources nouvelles d’énergie pauvres en carbone requiert une transformation majeure du système de production d’énergie de notre société. Les sources d’énergie de remplacement ont aussi des impacts environnementaux. L’impact des parcs d’éoliennes sur le paysage en est un exemple. Certaines sources d’énergie alternatives n’offrent pas la flexibilité de production requise par le marché. Citons comme exemple l’énergie solaire qui nécessite l’absence de couverture nuageuse.
La seconde alternative consiste à réduire notre consommation d’énergie dans tous nos champs d’activités, que ce soit au niveau domestique, industriel ou des transports. Ici, le citoyen et la société sont directement interpellés car cette alternative implique des changements importants à nos habitudes de vie.
La troisième voie pour réduire les émissions de GES, comme le CO2, consiste à séquestrer le carbone soit directement à la source d’émission, comme la cheminée d’une centrale thermique, d’une cimenterie ou d’un incinérateur, soit de manière indirecte pour des sources diffuses comme les véhicules de transport.
La séquestration du carbone consiste à capter le carbone et l’entreposer dans un réservoir. La séparation et la capture du CO2 sont essentielles pour isoler le carbone sous une forme souhaitable pour le transport et la séquestration. Chaque réservoir potentiel de carbone offre des qualités différentes relativement à sa capacité, sa distribution géographique par rapport aux sources d’émission, et la pérennité de la séquestration du carbone. Il s’agit d’un concept peu connu du public, mais qui doit faire partie d’une stratégie globale de réduction des émissions de GES.
Le carbone des sources indirectes et diffuses, comme les véhicules, peut être séquestré dans les sols et la végétation terrestre. La biomasse terrestre est un réservoir important (~2000 Gt « gigatonne ou 109 t » C), mais éphémère de carbone, car une partie de la matière organique morte est oxydée en CO2. Ainsi, on estime que la photosynthèse et la respiration des végétaux s’accompagnent d’un gain annuel de 1,9 Gt C qui est en partie contrebalancé par la perte de végétation (dévégétation) ce qui donne un gain annuel net de carbone dans la biomasse terrestre de l’ordre de 0,2 Gt C (Figure 1).
La quantité de carbone qui peut être séquestrée est donc essentiellement limitée à l’augmentation de la biomasse. La séquestration du carbone peut être favorisée par un accroissement de la fixation du carbone photosynthétique et la réduction de la décomposition de la matière organique. Cette méthode de séquestration est une alternative peu coûteuse et facile à implanter. Par contre, on sait aussi que la pollution atmosphérique, sous forme de pluies acides ou de SO2, par exemple, ralentit la croissance de la biomasse et donc sa capacité à capter le CO2.
Le développement d’une méthode de séquestration rapide du CO2 dans la biosphère pourrait permettre d’abaisser significativement le CO2 atmosphérique au cours des 50 prochaines années en attendant la venue d’une technologie plus avancée et plus permanente. Il y a deux approches fondamentales pour favoriser la séquestration du carbone dans la biomasse terrestre : 1) protéger les écosystèmes qui emmagasinent le carbone de façon à maintenir ou augmenter leur capacité; et 2) manipuler les écosystèmes de façon à augmenter leur capacité à séquestrer le carbone au-delà des conditions actuelles.
Les sols contiennent actuellement environ 75% du carbone de la biomasse terrestre. Les sols dans lesquels des niveaux élevés de carbone sont présents en tant que matière organique ont une meilleure absorption de nutriments, rétention d’eau, texture, et résistance à l’érosion. La prévention de l’érosion des sols peut aussi participer à la séquestration du CO2. Chaque année, 25 Gt de sols sont érodés. Si on considère que ces sols contiennent 4% de matière organique, alors l’érosion cause l’oxydation de 1 Gt C par année qui est émis dans l’atmosphère sous forme de CO2. Le contrôle des taux d’érosion pourrait cependant perturber les flux de phosphore et de nitrate dans les systèmes aquatiques et ainsi causer des impacts écologiques.
Il y a des vertus additionnelles à favoriser la séquestration du CO2 dans la biomasse terrestre, car l’augmentation de la capacité de ce réservoir passe par une reforestation des terres abandonnées, la reconstitution de marais, etc, dont les impacts sont majoritairement positifs pour la biodiversité et l’environnement.
Les océans représentent un grand réservoir de carbone (Figure 1, ~40 000 Gt C). Chaque année, les océans piègent un tiers des émissions anthropogéniques de CO2, soit environ 1,9 Gt C. Le CO2 inorganique dissout dans l'océan se retrouve sous trois formes : CO2 dissout (1%), ion bicarbonate (HCO3- : 91%) et ion carbonate (CO32- : 8%). La capacité totale d’emmagasinement du CO2 dans les océans est fonction de la solubilité du CO2, de la capacité du tampon chimique de l’eau de mer et de la fixation photosynthétique du CO2 par la biomasse marine. La partie superficielle de l’océan est en équilibre avec l’atmosphère et l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère s’accompagne d’une augmentation de la concentration de CO2 dans la couche superficielle de l’océan. Les eaux de surface chargées de carbone anthropogénique descendent dans les abysses principalement dans l’Atlantique nord et l’océan austral. De plus, les changements climatiques ont un impact majeur sur l’habilité des océans à piéger le CO2, en particulier dans l’océan Atlantique. Si la température de l’eau de mer superficielle augmente, la diminution de densité qui en résulte ralentit l’enfoncement des eaux de surface dans les régions polaires, et par conséquent diminue l’habilité de l’océan à emmagasiner le CO2. À l’inverse, la circulation océanique réduite diminue le brassage océanique et donc l’émission vers l’atmosphère du carbone emmagasiné dans les profondeurs océaniques.
Les océans ont la capacité d’emmagasiner toutes les émissions de CO2 qui seraient produites par la combustion de toutes les réserves connues de combustibles fossiles. Trois méthodes de séquestration du carbone ont été proposées : 1) injection de CO2 dans les océans profond (~ 3000 m), où il y aurait formation d’hydrates carboniques solides (de la « glace »), stables à ces conditions de température et de pression; 2) injection de CO2 dans la colonne d’eau, formant une « bulle » de CO2 qui se dissout dans la masse d’eau; 3) la fertilisation des océans avec du fer pour stimuler la croissance du phytoplancton, qui va sédimenter vers les fonds océaniques après son cycle de vie. Des tests récents de fertilisation des océans n’ont pas donné les résultats attendus. L’expérience qui s’est déroulée au sud de la Nouvelle-Zélande consistait à ajouter une solution de sulfate de fer à la surface des océans afin de stimuler la croissance du phytoplancton. Les résultats de l’expérience montrent que 1 t de fer a permis de piéger 1000 t de CO2, contrairement au 100 000 t prévues. De plus, le phytoplancton produit d’autres gaz, comme le méthyle de brome et l’isoprène qui sont, respectivement, dommageable pour la couche d’ozone et un gaz à effet de serre.
De petits changements dans les cycles biochimiques peuvent avoir des conséquences difficiles à prévoir. L’ajout de CO2 cause une acidification des eaux, qui est toxique pour la vie marine et qui causera certainement des dommages irrémédiables aux plates-formes calcaires et aux récifs coralliens.
Une autre approche consiste à reproduire le processus naturel de la dissolution des roches carbonatées par les eaux de pluie sur les continents. Le principe s'appuie sur la réaction suivante:
Ce processus constitue une rétroaction naturelle à l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère. Cette réation offre l'avantage d'un impact minimal sur la composition chimique des océans.
Le CO2 peut être séquestré dans les réservoirs de gaz naturel, de pétrole, de saumures et dans les lits de charbon. En premier lieu, le CO2 peut être piégé sous forme de gaz sous une couche de roche de faible perméabilité, de la même manière que le gaz naturel. L?industrie pétrolière utilise l'injection de CO2 pour augmenter la production de pétrole : le projet de Weyburn (Saskatchewan) est un bon exemple. En deuxième lieu, le CO2 peut être dissout dans les saumures de bassins sédimentaires. Ainsi, Statoil (Norvège) injecte depuis 1996 environ 1 Mt/an de CO2 dans un aquifère de saumures du champ Sleipner. Finalement, le CO2 peut précipiter des carbonates ou être adsorbé par le charbon. Les lits de charbons trop profonds pour être minés peuvent absorber du CO2 en déplaçant du méthane qui peut être récupéré et utilisé comme combustible. La quantité de carbone séquestrée est réduite du carbone émis par la production d?énergie à partir du pétrole ou du méthane récupéré.
Les réservoirs de pétrole et de gaz se trouvent dans des pièges stratigraphiques et structuraux, d'où le pétrole et le gaz ne se sont pas échappés pendant les temps géologiques. Des méthodes sophistiquées de modélisation par ordinateur ont été développées par l'industrie pétrolière pour prédire le comportement et l'emmagasinement du CO2 lors de son injection pour accroître la récupération de le pétrole. Les fuites de GES à partir de ces réservoirs géologiques sont relativement faibles, ces réservoirs ayant emmagasiné du gaz naturel pendant des centaines de millions d?années. En plus, la technologie est avancée : par exemple, le réseau de distribution du gaz naturel comprend des réservoirs géologiques où le gaz est emmagasiné durant les périodes de faible consommation pour faire face à la demande de pointe.
Les saumures (solutions salines, comme celles exploitées par Junex Inc. à Bécancour) sont les fluides les plus communs dans les roches sédimentaires. L'injection de CO2 dans un aquifère entraîne le déplacement d'une phase fluide par une phase gazeuse immiscible, bien qu'une partie du CO2 soit soluble dans l'eau. La capacité de séquestration peut être accrue par la précipitation de carbonates à partir de ces saumures riches en CO2 quoique la précipitation de carbonates aura pour conséquence de réduire la porosité du réservoir. Contrairement aux réservoirs de gaz et de pétrole, les saumures ne sont pas nécessairement retrouvées dans des pièges structuraux. L'accumulation de CO2 gazeux peut mener à une surpressurisation qui pourrait affecter l'intégrité de la roche en causant des failles et des séismes. Dans cette éventualité le CO2 pourrait migrer vers des couches supérieures et même retourner dans l'atmosphère.
La séquestration du CO2 dans les formations de charbon permettrait d'augmenter la production de gaz naturel. En effet, un projet pilote en Alberta a montré que la production de méthane à partir de couches de charbon trop profondes pour être minées peut être augmentée par l'injection de CO2. Le CO2 n'est pas emprisonné dans un réservoir imperméable mais plutôt adsorbé par le charbon. La nature des strates adjacentes devient importante pour la rétention du CO2.
On peut séquestrer le CO2 en le convertissant par des processus chimiques en des minéraux carbonatés. Plusieurs processus géologiques naturels précipitent des minéraux riches en CO2, comme la calcite qui constitue les calcaires. La carbonatation de minéraux riches en magnésium, comme la serpentine, se produit aussi naturellement. Par exemple, la serpentine réagit avec le CO2 pour former la magnésite selon la réaction:
Cette réaction est exothermique : elle libère de l'énergie. La magnésite est un minéral stable dans les conditions thermodynamiques à la surface terrestre. La carbonatation minérale est la seule méthode qui permet la séquestration permanente du carbone. C'est aussi celle qui a le moins de risques environnementaux. La réaction peut se faire par quatre processus :
Dissolution de la serpentine par les eaux de pluie et précipitation de carbonates hydratés, tel l'hydromagnésite (Mg5(CO3)4(OH)2.4H2O), à partir du CO2 de l'atmosphère. C'est ce processus naturel que nous étudions principalement;
La carbonatation minérale offre une opportunité unique, au Québec, pour séquestrer le carbone de façon permanente. Un programme de recherche est présentement en cours aux départements de géologie et de génie géologique, de génie chimique, et de génie électrique et de génie logiciel de l'Université Laval qui a comme objectif de comprendre et améliorer la carbonatation minérale spontanée de plusieurs résidus miniers. Les premiers projets visaient à caractériser de façon préliminaire les massifs rocheux et les résidus de serpentine pour établir leur potentiel de carbonatation. Ces projets sont ou ont été financés par Hydro-Québec Production, le Ministère de l’Environnement du Québec, Lab-Chrysotile, Métallurgie Magnola, Mine Jeffrey et TransCanada Corp. Notre équipe de recherche étudie maintenant divers résidus miniers riches en magnésium pour établir leur potentiel de carbonatation minérale et proposer des méthodes de disposition des résidus miniers qui vont accroître leur capacité de stockage du carbone. Ces travaux sont financés par le FRQ_NT avec l'appui de LAB, Royal Nickel Corporation, Diamants Stornoway et Xstrata Nickel.
Le sud du Québec contient plus de 500 Gt de roches ultramafiques formées essentiellement de serpentine.Les résidus de l’exploitation du chrysotile dans le sud du Québec sont empilés dans des parcs qui comptent environ 800 Mt de résidus d’usinage et 1.2 Gt de résidus miniers. Ces résidus constituent une source de minéraux magnésiens qui est abondante et disponible. La quantité de résidus miniers est suffisante pour séquestrer pendant plus de 200 ans la totalité des émissions en CO2 d’une centrale thermique comparable au projet Suroît. En plus, les résidus de serpentine contiennent en moyenne 0,23% de nickel, soit 3,45 Mt de nickel métallique (à titre comparatif, la mine Raglan dans le nord du Québec a des réserves de 0,7 Mt de Ni). La récupération de métaux comme le nickel lors de la carbonatation minérale serait un avantage supplémentaire.
Les résidus réagissent naturellement et rapidement avec le CO2 atmosphérique. La réaction forme des croûtes cimentées à la surface des parcs à résidus. La cimentation est le produit de la dissolution des minéraux magnésiens par les pluies acides et de la précipitation d’un carbonate de magnésium hydraté, l'hydromagnésite, à partir du CO2 atmosphérique ou dissous dans l’eau de précipitation. Ces croûtes cimentées atteignent plus de 1 m d'épaisseur et elles persistent lorsque enfouies sous de nouveaux résidus dans les parcs. La concentration de carbone inorganique dans les croûtes cimentées atteint plus de 2 % poids C. Un estimé préliminaire suggère que les parcs à résidus de l'exploitation du chrysotile dans le sud du Québec ont séquestré naturellement environ 3.4 Mt de CO2 durant plus de 125 années d'exploitation.
La carbonatation spontanée et naturelle des résidus de l’exploitation du chrysotile offre de nouvelles opportunités pour développer des processus innovateurs de séquestration du carbone. La carbonatation spontanée ouvre la possibilité de caper et séquestrer du CO2 atmosphérique émis par des sources diffuses, comme le transport, pour lesquels peut de solutions existent. La quantité de résidus de l’exploitation du chrysotile permettra d’implanter des procédés qui ont la capacité de séquestrer de manière permanente de grandes quantités de CO2.La carbonatation minérale a l’avantage de revaloriser les immenses parcs à résidus des mines de chrysotile en plus d’améliorer l'économie des régions d’Asbestos et de Thetford Mines.
Cet exemple montre la vitesse de réaction du CO2 avec un échantillon de résidus miniers. L'échantillon (5 g) est un résidu d'usinage du chrysotile de la mine Black Lake.
L'Eudiomètre Laval est un eudiomètre modifié pour mesurer la réaction du CO2 avec l'échantillon sur une longue période (Pronost et al., 2011). Le cylindre central contient de l'air avec 40% en volume de CO2. Le liquide rouge remplacera le CO2 consommé par la réaction de carbonatation minérale dans le cylindre central, ce qui permet de mesurer le volume de gaz qui a réagi avec le résidu minier.