Échantillon de pergélisol riche en glace formé dans des sédiments marins gélifs.
Le réchauffement climatique anticipé aux hautes latitudes durant les prochaines décennies aura des impacts majeurs sur le pergélisol. Déjà, la tendance à l’augmentation de la température moyenne annuelle de l’air de l’ordre de 3 °C observée au Québec nordique depuis 1992 a provoqué une dégradation rapide du pergélisol riche en glace (pergélisol: sol ou roche dont la température est égale ou sous 0 °C durant au moins deux années). Les impacts de cette dégradation sont déjà visibles dans l’environnement nordique avec des affaissements différentiels mesurés lors des cinq dernières années supérieurs à 1 m à certains endroits dans la zone de pergélisol discontinu. Des infrastructures civiles telles que des remblais routiers sont affectés pas des problèmes structuraux reliés à la dégradation du pergélisol qui diminuent leur durée de vie utile et augmentent leur coût d’entretien. La pérennité des villages isolés et la sécurité de la population du Québec nordique sont par conséquent menacées.
Exemples de dégradation du pergélisol sur une période de 18 ans du mois d’août 1989 (photo de gauche) au mois de juillet 2007 (photo de droite). La mare de thermokarst visible à gauche sur la photographie prise en juillet 2007 envahit progressivement la butte de pergélisol riche en glace à droite.
Le dégel du pergélisol est causé par le réchauffement climatique observé récemment au Nunavik.
Affaissement d’un remblai routier construit sur un pergélisol riche en glace à Umiujaq.
Avec l’aide de mes étudiants à tous les cycles des études supérieures, j’ai développé un système de poussée linéaire unique au monde qui me permet de réaliser des essais de pénétration au piézocône à taux de pénétration constant. Ces essais me permettent d’obtenir des renseignements précis mais ponctuels sur la cryostratigraphie du pergélisol. Afin d’étendre cette cryostratigraphie à l’ensemble d’un site d’études donné, j’utilise des méthodes géophysiques de surface d’auscultation non destructive du pergélisol (tomographie de polarisation provoquée, géoradar et sondage électromagnétique transitoire). Cette caractérisation des milieux pergélisolés me fournit l’information nécessaire pour développer des modèles géocryologiques réalistes pour la simulation numérique du régime thermique du pergélisol.
Système de poussée linéaire développé à l’Université Laval pour la réalisation d’essai de pénétration au cône dans le pergélisol.
Tomographie de polarisation provoquée et profilage de géoradar.
Suivi de l’affaissement au dégel d’un remblai routier à Umiujaq au Québec nordique.
Un affaissement différentiel aussi important que 0,85 m s’est produit le long de la route d’accès à l’aéroport d’Umiujaq au Nunavik (Québec) dans la zone de pergélisol discontinu. Des travaux d’investigation géotechnique et géophysique dont un essai de pénétration au piézocône, des profils de géoradar et de résistivité électrique, et des simulations numériques du régime thermique du remblai routier et de l’infrastructure ont été réalisés afin de caractériser la stratigraphie du sous–sol et les conditions du pergélisol, et d’expliquer les impacts de la dégradation du pergélisol sur le remblai routier. L’affaissement est causé par la consolidation au dégel d’une couche de silt riche en glace d’une épaisseur de 4 m sous une couche superficielle de sable. Alors que seule la partie supérieure de la couche de sable subissait initialement les cycles saisonniers de gel–dégel, le front de dégel atteint maintenant la couche de silt riche en glace instable au dégel. Selon les simulations numériques, la tendance au réchauffement climatique récemment observée au Nunavik ne peut pas être la seule cause de l’affaissement observé. Telle une barrière à neige, le remblai routier épais favorise l’accumulation de la neige sur ses accotements. La dégradation du pergélisol est donc non seulement provoquée par la tendance au réchauffement climatique mais aussi par l’effet d’isolation thermique du couvert nival qui prévient le refroidissement du remblai en hiver.
Exemple d’un essai de pénétration au piézocône au pied du remblai routier à Umiujaq: diagraphies de la résistance à la pointe, du rapport de frottement, de la température et de la résistivité électrique en fonction de la profondeur. La colonne stratigraphique a été obtenue de l’interprétation des diagraphies.
Le géoradar et la tomographie de résistivité électrique sont des méthodes géophysiques complémentaires pour l’auscultation non destructive du pergélisol. La stratigraphie à haute résolution d’un milieu pergélisolé peut être obtenue d’un levé de géoradar en mode réflexion (profil du haut) mais peu d’informations sont obtenues sur les propriétés physiques des couches alors que la tomographie de résistivité électrique (modèle de résistivité électrique du milieu) fournit de l’information sur les conditions de ce milieu mais les contacts stratigraphiques ne sont pas localisés avec précision. L’intégration de l’interprétation de ces deux levés géophysiques fournit une coupe stratigraphique du dépôt de sédiments marins pergélisolés (coupe du bas).
Modèle géothermique du remblai routier et de la sous-fondation développé à partir de l’investigation géotechnique et géophysique pour simuler le régime thermique du pergélisol sous le remblai.
Distributions spatiales de la température dans le remblai et la sous-fondation pergélisolée en septembre lorsque le front de dégel a presqu'atteint sa profondeur maximum sous un climat froid constant de -5,5 °C qui sévissait à Umiujaq avant 1992 (graphique de haut) et immédiatement après un réchauffement de 3 °C sur 15 ans (de -5,5 à -2,5 °C, cela correspond à l’augmentation de la température moyenne annuelle de l’air observée au Québec nordique depuis 1992) avec des accumulations de neige sur les accotements du remblai (graphique du bas). En l’absence de neige sous un climat constant de -5,5 °C, le remblai serait stable car le front de dégel n'atteint pas la couche de silts marins riche en glace dans de telles conditions. C'est l'effet combiné de la tendance au réchauffement et de l'isolation thermique de la neige qui a été l'élément déclencheur du dégel du pergélisol et des affaissements observés. Le front de dégel atteint maintenant la couche de silts marins riche en glace. Pour expliquer les affaissements au dégel du remblai routier, le double impact de la tendance au réchauffement climatique observée au Nunavik et de l'effet d'isolation thermique de la neige doit être considéré.